C’est un phénomène discret mais massif : de plus en plus de Français refusent de décrocher quand un numéro inconnu s’affiche sur leur téléphone.
Autrefois, on répondait par réflexe — aujourd’hui, c’est la méfiance qui domine.
Entre arnaques, démarchage agressif et faux services officiels, la confiance s’est brisée.
Une méfiance devenue réflexe national
Selon une récente étude de l’Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep), près de 7 Français sur 10 ignorent systématiquement les numéros inconnus.
Chez les moins de 35 ans, ce chiffre grimpe même à 82 %.
Les raisons sont multiples : appels commerciaux incessants, spams vocaux, tentatives d’hameçonnage…
Certains Français racontent qu’ils n’ont pas décroché un appel inconnu depuis des années.
« Je n’ai plus confiance, même quand le numéro semble local », confie Julien, 42 ans, cadre à Toulouse.
« La dernière fois que j’ai répondu, c’était soi-disant ma banque. En réalité, c’était une arnaque qui a failli me coûter cher. »
Le fléau du démarchage et des escroqueries
Le démarchage téléphonique, pourtant encadré par la loi, reste un cauchemar quotidien pour des millions de personnes.
Malgré la mise en place du dispositif Bloctel, les pratiques contournent souvent les règles grâce à des centres d’appel basés à l’étranger.
Certains utilisent des numéros français factices pour contourner les blocages.
Le ministère de l’Économie estime à près de 50 millions le nombre d’appels commerciaux non sollicités effectués chaque mois en France.
Et parmi eux, une part croissante d’escroqueries sophistiquées :
faux conseillers bancaires, opérateurs d’énergie bidons, ou même de prétendus agents de la sécurité sociale.
Ces appels utilisent des techniques de social engineering, jouant sur la peur ou la confiance pour pousser la victime à communiquer des informations personnelles ou bancaires.
Le smartphone change les habitudes
Le téléphone mobile, censé rapprocher, devient un filtre.
Les notifications indiquant “Numéro inconnu” ou “Appel suspecté de spam” suffisent à décourager.
Les applications comme Truecaller ou Hiya connaissent un succès croissant : elles permettent d’identifier automatiquement les numéros suspects grâce à des bases de données partagées.
Et désormais, certains smartphones affichent un message explicite avant même la sonnerie :
« Appel potentiellement indésirable ».
Résultat : la majorité des appels entrants se soldent par un silence, parfois même entre proches ou professionnels.
Les conséquences inattendues
Ce réflexe d’autoprotection a aussi des effets paradoxaux.
Les vrais appels importants passent souvent à la trappe : livreurs, médecins, administrations, ou écoles peinent à joindre les citoyens.
Les entreprises et les services publics sont désormais obligés d’envoyer un SMS d’avertissement avant d’appeler pour être pris au sérieux.
De nombreuses entreprises de recrutement ou de santé reconnaissent une hausse du “non-réponse” qui complique les démarches simples.
Certaines ont même mis en place des numéros “certifiés”, ou des campagnes d’appels préenregistrés avec identification claire.
« Quand on appelle un candidat pour un entretien ou un patient pour un résultat, il ne décroche plus », explique Sophie Ligeron, directrice d’un cabinet de ressources humaines à Paris.
« Aujourd’hui, on doit envoyer un message avant, sinon personne ne répond. C’est devenu absurde. »
L’essor des messages et des alternatives
Face à cette méfiance, la communication vocale décline au profit des messages instantanés.
SMS, WhatsApp, Telegram ou e-mails remplacent progressivement la voix.
Les Français préfèrent lire avant de répondre, maîtriser le moment et le ton de la conversation.
Les statistiques montrent que le volume des appels entrants a chuté de près de 40 % en cinq ans, tandis que les messages vocaux, eux, se raréfient.
Dans les entreprises aussi, le téléphone perd du terrain : les échanges internes se font désormais presque exclusivement via Teams ou Slack.
Les nouveaux usages sont clairs :
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Les appels ne sont plus spontanés.
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Les conversations doivent être programmées ou identifiées.
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Le téléphone devient un outil d’exception, réservé à l’urgence ou à l’intime.