Une percée au service de la chaleur industrielle
Au cœur de la Suisse, une équipe conjointe de l’EPFZ et de la Haute école spécialisée de Suisse orientale a mis au point une pompe à chaleur capable d’atteindre 200 °C. Cette prouesse ouvre la voie à une décarbonation accélérée des procédés thermiques. Les industries gourmandes en chaleur peuvent ainsi troquer les chaudières à gaz pour une alternative plus propre et plus souple.
En visant les températures critiques des procédés de séchage, de pasteurisation ou de synthèse, le système s’attaque au “dernier kilomètre” de l’énergie. L’innovation promet une efficacité élevée, même lorsque la demande de chaleur est variable. Elle s’intègre aux infrastructures existantes sans bouleverser les chaînes de production.
Comment récupérer et amplifier la chaleur
À l’image d’un réfrigérateur inversé, la machine capte des calories dans l’air, l’eau ou les rejets thermiques et les élève à un niveau utile. Un cycle de réfrigération optimisé compresse, condense puis libère la chaleur avec un rendement supérieur. Cette approche valorise des gisements de chaleur fatale souvent perdus.
En combinant échangeurs performants et contrôle fin des pressions, le système limite les pertes et stabilise la température de sortie. La commande intelligente module la puissance pour suivre la demande, réduisant les à-coups et la consommation électrique.
Un réfrigérant sur mesure
Le cœur de l’innovation repose sur un réfrigérant formulé en mélange, ajustable selon les processus visés. En modulant les proportions, les chercheurs adaptent la courbe de condensation pour caler au mieux la température cible. Résultat: moins de surcompression, plus d’efficacité et moins d’impact environnemental.
“Nous avons conçu un fluide qui concilie performance et faible empreinte sur les écosystèmes, sans compromis sur les températures élevées”, explique le Dr Hans Müller. Cette flexibilité fluidique permet de personnaliser chaque installation, du site chimique à l’usine agroalimentaire. Elle anticipe aussi l’évolution des normes sur les gaz frigorigènes.
Performances et chiffres clés
Les premiers essais annoncent jusqu’à 25 % d’efficacité en plus par rapport à des systèmes industriels classiques. À puissance égale, cela se traduit par une réduction sensible des coûts d’exploitation et des émissions. Le gain est d’autant plus marqué quand la source de chaleur est un rejet à moyenne température.
Le coefficient de performance (COP) reste élevé même à 200 °C, un niveau rarement atteint par les pompes conventionnelles. La durabilité des matériaux et le design des compresseurs limitent l’usure en service. L’ensemble ouvre la porte à une chaleur verte compétitive face aux combustibles fossiles.
Où et comment l’adopter
- Secteurs de la chimie et de la pharmacie: vapeur de procédé plus propre, intégration sur réseaux existants.
- Industrie agroalimentaire: pasteurisation, séchage et stérilisation avec moins de CO2.
- Papier et textile: récupération de chaleur fatale pour des cycles plus sobres.
- Réseaux de chaleur: montée en température pour alimenter des quartiers ou des parcs industriels.
- Centres de données: réutilisation des calories de serveurs vers des processus voisins.
Chaque site peut cartographier ses gisements thermiques, évaluer la qualité de la source, puis dimensionner l’unité au plus près de la demande. Cette approche “heat matching” maximise la valeur énergétique.
Retombées économiques et climatiques
En substituant des chaudières à fioul ou à gaz, la pompe réduit les coûts liés aux carburants volatils et aux quotas de carbone. Les économies opérationnelles s’additionnent aux aides à l’investissement et aux tarifs d’électricité verte. L’équation devient favorable dès que l’on valorise la chaleur perdue.
“Les économies sont substantielles et l’impact positif sur le climat n’est plus un simple bonus, c’est un argument central pour les directions industrielles”, souligne le Dr Müller. Au fil du temps, la baisse de l’OPEX amortit l’CAPEX, surtout sur des sites à haut facteur d’utilisation.
Intégration et déploiement
Les équipes de l’EPFZ travaillent avec l’Agence internationale de l’énergie et des partenaires européens pour accélérer la normalisation. Des guides d’intégration aident à coupler la pompe aux réseaux de vapeur, aux processus batch et aux échangeurs existants. La stratégie privilégie des pilotes modulaires, réplicables site après site.
La connexion à des renouvelables (hydroélectricité, solaire PV, éolien) renforce le bilan carbone. Les algorithmes de pilotage décalent la consommation vers les heures à faible coût, tout en garantissant la continuité de service.
Enjeux et limites à surveiller
La qualité de la source de chaleur conditionne le rendement: plus la source est chaude, plus la pompe est performante. L’isolation des réseaux et la compatibilité des matériaux à haute température restent des points critiques. La disponibilité de techniciens formés au fluide et aux compresseurs est également stratégique.
Côté régulation, l’évolution des normes sur les réfrigérants exige une veille active. Les contrats d’électricité et la stabilité du réseau sont à intégrer dans l’analyse de risque. Une planification pragmatique atténue ces facteurs et sécurise le retour sur investissement.
Perspective
Cette avancée place la Suisse à l’avant-garde de la chaleur industrielle décarbonée. En atteignant 200 °C avec une efficacité inédite, la technologie comble un vide entre les pompes classiques et les chaudières fossiles. Elle crée une trajectoire réaliste vers des usines à faible empreinte carbone.
L’alliance de la science des fluides, de l’ingénierie des compresseurs et du numérique ouvre un cycle d’innovation durable. À mesure que les projets se multiplient, la “chaleur verte” peut devenir une norme, et non une exception, dans l’industrie européenne et au-delà.