Bill Orcutt est un ancien homme d’État improbable de la musique de guitare traditionnelle américaine. Bien qu’il ait l’air du rôle, avec ses lunettes de professeur et sa barbe de John Berryman, son travail de confrontation avec les rockers noise des années 90, Harry Pussy, n’offrait que peu d’indications sur l’endroit où il finirait par se retrouver. Harry Pussy l’a appelé en 1997, puis, après plus d’une décennie de silence, Orcutt est revenu en 2009 avec une série d’improvisations frénétiques pour sa guitare acoustique Kay à quatre cordes, invoquant Lightnin’ Hopkins et Lightning Bolt dans une égale mesure. Depuis, il s’est taillé une place avec des déconstructions du Great American Songbook, des compositions électriques en solo et des exercices reichiens en contrepoint. Comme tout maître américain, Orcutt est trop excentrique et imprévisible pour des comparaisons directes. Ses influences sont claires – l’improvisation dissonante de Derek Bailey, le fingerpicking athlétique de John Fahey, l’espace éthéré de Loren Connors – mais ces points de référence dessinent une toute nouvelle constellation.
Les premiers disques solo d’Orcutt consistaient en des blocs de son cubistes en cascade de sa guitare à la vitesse des briques Tetris de fin de partie. Lorsqu’il est passé à l’électrique au milieu de la dernière décennie, ses notes ont plutôt dérivé comme des flocons de neige (bien qu’il les ait encore parfois projetées dans des rafales). Saute dessus applique cette approche plus tardive et plus maniérée à la première sortie acoustique solo d’Orcutt depuis 2013 Une histoire de chacun. Son placement de micro donne l’impression que l’auditeur est inconfortablement proche d’Orcutt, les oreilles planant quelque part entre le corps de sa guitare et le col de sa chemise. Sa respiration est fréquemment audible, tout comme le grincement de sa chaise. Pour un guitariste dont les explosions frénétiques de bruit pourraient tenir le public à distance, ces 10 titres, d’une durée d’une demi-heure seulement, offrent un aperçu intime de l’art de la chanson minutieusement réfléchi caché dans le fracas et le claquement de sa technique.
Saute dessusLes miniatures magnifiquement conçues de sont souvent sombres même lorsqu’elles scintillent et brillent avec une réverbération naturelle. Certains morceaux, comme les premiers succès « What Do You Do With Memory » et « The Ocean Will Find Its Shore », se déploient délicatement dans de longues vrilles fleuries de mélodies choisies au doigt. La seconde moitié de l’album devient plus dense et sinueuse avec « New Germs », qui passe d’un début hésitant à un tourbillon vertigineux de notes soutenu par de doux gémissements. Le penchant d’Orcutt pour la répétition – une constante dans son travail depuis ses débuts en solo jusqu’à son album le plus récent – apparaît également ici. « In a Column of Air » se termine par une tornade de figures cycliques, tandis que l’intégralité de « Music That Fights Back » est construite à partir de variations sur une courte phrase répétitive. Si les démarches compositionnelles ne sont pas nouvelles, la clarté et la patience avec lesquelles elles sont menées le sont assurément. Orcutt a passé des années à déconstruire la guitare acoustique pour la reconstituer soigneusement selon sa propre conception idiosyncrasique.