Critique de l'album Nice Guys de Art Ensemble of Chicago

Le 8 mai 1965, un groupe de musiciens se réunit dans une maison du South Side de Chicago. Ils y avaient été convoqués par quatre pairs locaux par le biais de cartes postales envoyées par courrier pour discuter de la création d’un nouveau collectif, destiné à créer de nouvelles opportunités pour les artistes engagés dans ce qu’ils appelaient, tout simplement, la « musique créative ».

À un moment donné de la réunion, un saxophoniste du nom de Gene Easton a résumé les frustrations partagées par de nombreux participants. « Nous sommes enfermés dans un système, a-t-il déclaré, et si vous ne vous exprimez pas dans le système connu, vous êtes ostracisé. »

« Mais », a-t-il ajouté, « il existe des systèmes bien meilleurs. »

À cette époque, certains musiciens de premier plan avaient déjà défié les conventions du jazz traditionnel, poursuivant des révolutions subtiles ou éclatantes (voir Miles Davis' Sorte de bleu et Ornette Coleman La forme du jazz à venirrespectivement). Mais les changements dans le jazz n'ont pas manqué de susciter la controverse : John Coltrane, par exemple, s'aliénait certains critiques et pairs avec un style de plus en plus abstrait. Pour un musicien de jazz moyen, surtout en dehors du foyer new-yorkais, qui voulait continuer à faire des concerts tout en aspirant à s'engager dans des sons d'avant-garde – sans parler de quelqu'un qui, comme certains présents à cette réunion du South Side en 1965, hésitait à prêter allégeance au jazz, ou à tout autre style – il est facile de comprendre pourquoi l'expression libre semblait encore risquée.

Quand Easton parlait de se sentir « enfermé », il parlait en termes musicaux. Mais son désir de transcender les restrictions créatives signifiait un objectif plus élevé pour le collectif naissant de Chicago, un objectif qui ouvrirait de nouvelles voies aux musiciens noirs cherchant à s’épanouir au-delà des catégories ou des genres. Le groupe, qui se surnommerait bientôt Association for the Advancement of Creative Musicians, ou AACM, allait avoir un impact incommensurable sur le jazz, la musique expérimentale, la musique classique contemporaine et d’autres styles fièrement inclassables, du milieu des années 60 à nos jours.

Parmi les artistes majeurs issus de l'AACM, on trouve deux lauréats du prix Pulitzer (Henry Threadgill, lauréat 2016, et Wadada Leo Smith, finaliste 2013), plusieurs maîtres du jazz de la NEA (dont Muhal Richard Abrams, cofondateur du groupe et pilier musical et intellectuel de longue date, ainsi qu'Anthony Braxton, Amina Claudine Myers et Threadgill) et de jeunes sommités telles que Nicole Mitchell, le guitariste Jeff Parker et la violoncelliste Tomeka Reid. Mais de tous les musiciens qui ont porté haut le drapeau de l'organisation, aucun n'a peut-être incarné ses principes fondamentaux d'esthétique sans limites, d'autodétermination et de solidarité entre les individus plus parfaitement que Roscoe Mitchell, Joseph Jarman, Malachi Favors et Lester Bowie, les premiers membres qui ont fini par unir leurs forces pour former l'Art Ensemble of Chicago.