La France pourrait vivre l’une de ses plus grandes métamorphoses monétaires. Entre explosion du sans-contact, essor des virements en temps réel et fermetures d’agences, la présence des machines à billets se réduit mois après mois. Dans les villes, l’habitude de sortir de l’argent s’effrite; dans les campagnes, elle reste vitale. Ce contraste nourrit une question brûlante: faudra-t-il bientôt se passer des DAB tels qu’on les connaît?
“Le billet coûte cher à bouger et à sécuriser”, souffle un cadre bancaire. Transport blindé, aléas techniques, vandalisme: la facture grimpe alors que le nombre de retraits chute. Or, quand l’usage recule, l’équation économique lâche.
Pourquoi la tendance s’accélère
Le sans-contact a banalisé des achats de 1 à 30 euros sans friction. Les portefeuilles mobiles ont pris le relais du cash dans la file du boulanger. Et, depuis peu, le paiement instantané se démocratise: rembourser un ami, payer un artisan, verser un loyer, tout peut se jouer en dix secondes.
Côté banques, la consolidation du réseau d’agences et la mutualisation des parcs de machines réduisent les points de service. L’objectif: baisser le coût par retrait. Côté commerçants, plusieurs enseignes testent des formats “presque cashless”, tirés par la rapidité en caisse et la baisse des risques de caisse.
“Nous ne sommes pas anti-espèces, nous sommes pro-rapidité”, glisse un franchisé. Le message est clair: la vitesse et la simplicité priment.
Les territoires face au risque de désert monétaire
Dans certains bourgs, quand la dernière machine s’éteint, c’est tout un rituel qui se grippe. Marchés, brocantes, services à la personne: beaucoup vivent encore d’espèces. Les personnes âgées, les jeunes non bancarisés, ou simplement les ménages qui s’auto-disciplinent grâce au liquide, restent attachés aux billets.
“On nous dit d’aller en ville, mais c’est 25 minutes, et sans voiture c’est mission impossible”, raconte un élu rural. La question d’inclusion financière remonte alors au premier plan.
Ce que cela change pour les consommateurs
- Moins de retraits spontanés, plus de planification: on anticipe ses besoins en cash
- Plus de dépendance au smartphone et au réseau, au risque de “panne de paiement”
- Traçabilité accrue des dépenses électroniques, sujet sensible pour la vie privée
Quelles alternatives émergent
Le “cashback” en caisse (retirer de l’argent chez un commerçant en payant par carte) progresse discrètement. Les “cash recyclers”, ces machines qui avalent et redistribuent les billets, prolongent la vie des points restants en optimisant les flux. Les bureaux de poste et certaines mairies expérimentent des services de trésorerie de proximité. Et l’écosystème des virements instantanés couvre de plus en plus d’usages du quotidien, du covoiturage aux micro-services.
“L’alternative ne sera pas unique”, résume un consultant. “Ce sera un patchwork d’options locales.”
Comparatif: ce qui change selon la solution
| Critère | DAB classiques | Retrait chez commerçant (cashback) | Paiement instantané (virement en 10 s) |
|---|---|---|---|
| Disponibilité | 24/7, mais réseau en repli | Heures d’ouverture du magasin | 24/7 si réseau mobile ok |
| Coût utilisateur | Souvent gratuit selon banque | Généralement gratuit ou faible | Généralement gratuit au détail |
| Limites | Pannes, queues, vandalismes | Montants plafonnés, pas toujours proposé | Nécessite IBAN/app et connectivité |
| Sécurité perçue | Bonne, risque d’agression ciblée | Environnement public, encadré | Forte, mais vulnérable au phishing |
| Empreinte carbone | Transport de cash lourd | Optimisée localement | Numérique, serveurs/énergie |
Les banques et l’État au pied du mur
Le dilemme est classique: préserver l’accès aux espèces sans pénaliser un système qui migre vers le numérique. Plusieurs scénarios circulent dans le débat public: obligations d’accès minimal à moins de X minutes d’un point de retrait, mutualisation renforcée entre établissements, soutien aux communes isolées, ou encore statut clarifié du cashback pour en faire un service universel.
Le régulateur observe aussi la montée des paiements instantanés et des portefeuilles certifiés. Sans garde-fous, le tout-numérique expose aux pannes massives, aux cyberattaques et aux exclusions. Avec des garde-fous, il reste la question de la liberté de choisir son moyen de paiement.
Et si la disparition n’était pas totale?
Disparaître, ce serait faire table rase. Plus probable: une mue rapide. Des machines moins nombreuses, plus polyvalentes, partagées entre banques. Des commerces relais pour les retraits et dépôts. Des espèces mieux “circulées” localement. Et, en parallèle, le paiement instantané qui devient réflexe, comme le sans-contact hier.
La trajectoire n’est pas écrite. Elle dépendra de trois équilibres: le droit au cash face au confort du digital; le coût pour la collectivité face aux bénéfices sociaux; la sécurité technique face à la résilience de la monnaie fiduciaire.
“Le meilleur système est redondant”, rappelle un spécialiste des infrastructures. Garder un filet d’espèces, même plus fin, n’est pas un retour en arrière: c’est une assurance. Si les machines à billets se raréfient d’ici peu, la valeur du liquide, elle, ne s’évapore pas. Elle change de points d’appui, et oblige tout l’écosystème à faire preuve d’inventivité — et de prudence.