Saint Etienne : Critique de l'album La Nuit

Ecouter les premiers disques stéphanois, c'est se laisser envahir par la promesse de la jeunesse : le son de trois arrivants dans la grande ville, les yeux écarquillés, profitant de leurs rêves pop. La joie de la production de Bob Stanley et Pete Wiggs vient de son refus de la simple évasion, traçant un chemin intelligent et sinueux où le charme de la tranche de vie est parallèle à la fantaisie pop outrée. Des zones obsolètes ou à moitié imaginées comme Finisterre, Tiger Bay et Foxbase Alpha ont été cartographiées sur la texture réelle des Home Counties, de West Country et de Londres elle-même. Sarah Cracknell exploite l'intimité facile de sa voix pour naviguer dans les hauts et les bas de ce décor tantôt vif, tantôt en carton, sa présence glamour et réconfortante ouvrant la voie à travers les feux d'artifice de Wiggs et Stanley.

Mais le temps a une façon impitoyable de s'écouler, et on pourrait presque pleurer devant l'optimisme du groupe et le monde perdu qui l'a inspiré : Londres toujours accueillante et abordable, le Royaume-Uni toujours partie de l'Europe, l'extase et les vols Concorde et l'anglais. comme sources de fierté légère plutôt que de réaction éclatante. «Quand tu as 20 ou 21 ans», entonne Cracknell avec un grain de voix inimitable sur le morceau d'ouverture du 11e album studio du groupe, La nuit« Vous avez tellement d'énergie et de conviction. » On pourrait lire le titre de la chanson, « Settle In », de deux manières : comme une soirée pluvieuse à la maison ou comme attendre la fin du reste de sa vie. Sur La nuitSaint Etienne tempère son imagination débordante avec un sentiment de finalité et de connaissance adulte, gardant le feu allumé avec une pleine conscience du froid et de l'obscurité qui approchent à grands pas.

La nuit ressemble à une extension et un raffinement de la mélancolie pessimiste de 2021 J'ai essayé de te le dire. Ce disque, qui tissait une production dub endormie et des échantillons elliptiques dans des cercles lugubres, s'attardait sur la répétition sans jamais exprimer pleinement la tristesse évidente en son centre. En revanche, La nuitLe pivot de vers la musique ambiante s'accorde avec une profonde lassitude du monde. Stanley et Wiggs évoquent des scènes nocturnes avec une oreille à la résonance effrayante, mettant au premier plan les craquements, les douleurs et les fréquences étranges qui ne sont pas entendues pendant la journée. Leur palette est à la fois détaillée et impressionniste, évoquant un brouillard dense et le parsemant de repères qui scintillent et s'éloignent au rythme de la musique. Sur « Through the Glass » et « Northern Counties East », le groupe a enregistré un crépitement de pluie sans fin, complétant la pénombre avec des percussions trouvées, un clavecin douloureux et une guitare tamisée. Parfois, l'obscurité est si dense qu'on vous pardonnerait de penser que vous mettriez The Caretaker ou un disque d'enterrement des derniers jours.