Telle l’héroïne d’une comédie romantique à gros budget, Carly Rae Jepsen se présente comme une femme éminemment sympathique, une rêveuse autodérision désinvolte dont le sang-froid n’est pas à la hauteur d’une explosion soudaine de feux d’artifice émotionnels. Ce qui élève le scénario de Jepsen au-delà du cliché, c’est le degré de conviction qu’elle apporte au rôle : sa capacité intrépide à escalader le bord embarrassant du sentiment et de la confiance dans sa musique. Comme Taylor Swift, le don de Jepsen pour invoquer une émotion ravissante n’est sapé que lorsque le culot en conserve et l’humour grinçant prennent le pas sur la passion tumultueuse ou la révélation lucide. Mais là où chaque mot de Swift approfondit une mythologie personnelle déjà culte, la personnalité de Jepsen est plus largement esquissée: moins identifiable avec un son, un look ou un ensemble de bizarreries spécifiques qu’un mandat brandissant l’épée pour honorer l’immédiateté de votre cœur.
Son dernier album, Le plus beau momentest un compagnon et une inversion thématique lâche de l’année dernière Le temps solitaire. Le troisième d’une série d’albums en face B tirés des sessions de studio ultra-productives de Jepsen, c’est aussi une dose concentrée de Weird Carly, opérant aux confins flamboyants de la convention pop. Où Le temps solitaire était ancré dans la perte personnelle et le malaise pandémique, Le plus beau se pavane et est extraverti, ivre d’un nouvel amour et franchement direct sur le désir. C’est aussi l’un des plus diversifiés musicalement de son catalogue, parcourant des expériences allant du go-go à la touche française en passant par le quasi-IDM. Tant qu’elle chante avec le coeur, Le plus beau moment suggère que la musique de Jepsen peut tolérer une énorme quantité d’artifices.
Avec un ensemble fiable de collaborateurs de retour, dont Rostam, Patrik Berger, John Hill et Kyle Shearer, Jepsen plonge dans des sons qui à la fois maintiennent le cap et s’écartent énormément de tout le reste de sa discographie. « Kamikaze » et le premier single « Shy Boy » sont des offres familières de Jepsen, des tranches de pop des années 80 de qualité militaire qui rugissent à l’arrière de boîtes à rythmes musclées et de synthés Moroder en spirale. Mais Le plus beau moment a aussi des détours fascinants. L’ouvreur « Anything to Be With You » chevauche une ligne de batterie nette et go-go avec une guitare électrique qui rappelle « 1 Thing » d’Amerie et réalise un groove similaire en apesanteur. Porté par des échantillons vocaux en boucle et des synthés French Touch progressivement massifs, le morceau hors concours « Psychedelic Switch » est un glorieux abandon à la sensation. La chanson la plus étrange est de loin « After Last Night », un morceau glitchy de pop baroque produit par Rostam dans la veine de « Genie in a Bottle » que Jepsen transforme en un moment caractéristique de réalisation romantique aux yeux étoilés.
La solitude réelle sur Le temps solitaire était plus une suggestion qu’un concept central, et bien que Le plus beau moment à la hauteur de sa promesse d’émotion à cœur ouvert, il n’est pas entièrement aéré. Bien qu’il soit passionnant d’entendre la chanteuse prendre les devants avec une bombasse timide sur « Shy Boy » ou perdre ses facultés conscientes au profit de l’extase pure sur « Psychedelic Switch », l’élévation vertigineuse de Jepsen est accompagnée de poches d’angoisse sur des morceaux à mi-tempo comme « Aeroplanes » et » Mettez-le au repos « . Et bien qu’il s’agisse de chansons parfaitement utilisables – avec des percussions incroyables sur ces dernières – leur inclusion affirme qu’il s’agit bien d’une collection d’extraits plutôt que d’un album concept. La guitare sombre de style Tame Impala sur « Kollage » et le synthé de la taille d’une voiture commerciale de « Stadium Love » ne sont pas non plus à leur place. Mais pris dans son ensemble, Le plus beau moment est un homologue solide de son album frère, échangeant une puissance silencieuse et introspective contre une joie cuivrée et effrénée.
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