Critique de l'album Pan the Pansexual

Pour 潘PAN, le corps est une bombe sur le point d'exploser. Sur le morceau « Scream » de Grimes sorti en 2015, sa voix flotte sur des paroles en mandarin évoquant des hurlements enfouis au plus profond des poumons comme de la poudre à canon ; entre des couplets de rap délicats, elle laisse éclater ces cris étouffés. Le musicien taïwanais né Pan Wei Ju, auparavant connu sous le nom d'Aristophane, joue depuis avec la frontière entre la beauté composée et la monstruosité volcanique. Pan le pansexuelson premier album complet depuis qu'elle a changé de nom, 潘PAN tourne son attention vers la menace existentielle du désir sexuel et la façon dont sa satisfaction peut liquéfier le sentiment d'identité d'une personne aussi facilement qu'elle peut le cristalliser.

En 2017, 潘PAN a suivi son indélébile long métrage Grimes avec la mixtape Les humains deviennent des machinesun album vivant et populeux qui présentait une large gamme d'humeurs vocales : ludique, introspective, frénétique, furieuse. C'était une affaire colorée. En revanche, Pan le pansexuel se tapit dans un coin implacablement sombre. Ses rythmes oscillent et s'enfuient, se dégradant hors du temps, faisant écho aux disques gothiques des années 2010 comme Gazelle Twin Décharner.

Sur « Embers », 潘PAN rappe en mandarin et chante en anglais sur une boucle jazzy dont le rythme swing se heurte à l’atmosphère oppressante. Les cymbales qui crépitent suggèrent la légèreté, mais le synthétiseur lave et les paroles douloureuses planent dans l’obscurité. « Si je meurs d’une manière ou d’une autre dans ma dépression sans fin, je veux que toutes mes belles illusions restent vivantes », chante-t-elle dans un registre supérieur haletant tandis qu’une figure de piano en tonalité mineure scintille au plus profond du brouillard. Sur « Reborn », l’un des deux morceaux produits par le phénomène du cloud rap Clams Casino, 潘PAN tresse des élans sans paroles qui rappellent le travail solo de Jarboe. Ici, elle envisage une nouvelle vie émergeant d’une mort violente : « Étouffe-moi lentement avec tes vieilles cicatrices/Fais-moi fleurir à nouveau avec ton sang », chante-t-elle juste avant qu’un interlude de cordes injecte un sentiment de romance gothique d’antan dans le statique numérique de Clams.

Des tensions similaires se font jour tout au long de l’album. Lorsqu’elles se résolvent, elles éclatent avec fureur. Sur « FNGRMEHRDR », sur une ligne de basse issue du classique électroclash de Le Tigre « Deceptacon », 潘PAN chante un désir vorace qui trahit un désir plus profond : « Je ne me suis jamais sentie aussi seule/Putain, doigte-moi plus fort. » Ses paroles en mandarin, prononcées à un rythme plus agité, dépeignent une rencontre sexuelle totalement aliénée. « Mes os sont mous comme de la boue maintenant, ma conscience s’effondre, quand tu m’embrasses comme la crue se propage », rappe-t-elle. « Je me suis avérée être une personne solitaire depuis que je t’ai rencontré… tu me rends incomplète. »

Pan le pansexuel arrive pendant l'été de Chappell Roan et Billie Eilish, deux artistes qui chantent sur le sexe queer comme un soulagement néon face à l'incertitude et à la répression. « Red Wine Supernova » de Roan est une effusion de joie sensuelle, tandis que « LUNCH » d'Eilish frappe comme une longue expiration à la fin d'un souffle retenu pendant des années. La lutte de 潘PAN avec l'identité sexuelle trace un chemin plus torturé. Et si la poursuite de votre faim secrète ne calmait pas les questions incalculables qui se tordent dans votre esprit, mais ne faisait que les approfondir ? Et si prendre son pied ne signifiait pas réellement sortir ? C'est la peur qui pèse sur cet album : il n'est pas toujours si facile de rentrer chez soi dans son propre corps. Parfois, la bombe explose et la question reste en suspens, sans réponse.