Lorsque Boiler Room a atterri à Ho Chi Minh-Ville l’année dernière, les promoteurs indépendants du genre Nhạc Gãy ont fait appel au collectif de musique expérimentale Rắn Cạp Đuôi pour réchauffer le club avec trois batteurs et une couverture de fuzz de guitare. Après leur chahut initial, Rắn Cạp Đuôi a fait ses débuts avec du matériel inédit qui deviendrait leur dernier album, *1, testant en club quatre titres (« Bloody », « What Cherubs », « Pressure » et « Straws ») qui se sont retrouvés sur la version finale. Maintenant *1 arrive avec l’aimable autorisation du label associé de Gãy, combinant le jetsam électronique de Ngủ Ngày Ngay Ngày Tận Thế (qui signifie « dormir pendant l’apocalypse ») avec un optimisme inspiré par les raves. *1 présente le même mode de collage numérique à tir rapide que la percée de Rắn Cạp Đuôi, mais cette fois, au lieu de frapper la fin du monde, ils dansent vers son salut et offrent un aperçu rosé de ce qui pourrait se trouver de l’autre côté.
« Bloody » a à la fois de la danse et de la rosée. La première moitié, faite de breaks fulgurants et de kicks distordus, nous propulse vers la seconde, une interpolation sans batterie d’harmonies baroques qui se dissout dans un abysse tranquille et aqueux. Une version antérieure de « Bloody » a servi de bande originale pour SỐNG VỚI LŨ, un court métrage de 2021 de Gãy en réponse à la question de la plateforme d’art CIRCA : « Où allons-nous à partir de maintenant ? » Le titre du film de Gãy se traduit par « vivre avec les inondations », une reconnaissance que les pays d’Asie du Sud-Est sont déjà confrontés au poids de l’apocalypse climatique imminente. La première version comprend des hurlements de Ngo Phuong Linh accompagnant un montage frénétique de séquences rave et de vidéos illustrant la saison de la mousson de plus en plus vicieuse du Vietnam.
Le maximalisme de l’album rappelle le son cybernaturel de l’eco grime et l’électronica des insectes de Martine Tucker. Bien qu’il y ait des rythmes quantifiés dans la plupart de ces morceaux, les textures stochastiques des chansons reflètent le caractère apparemment aléatoire des enregistrements écologiques sur le terrain. « What Cherubs » s’ouvre sur un refrain angélique entrecoupé de chants d’oiseaux qui semblent presque générés numériquement, s’arrêtant pour un peu d’accordage de guitare qui inaugure la chute. « Nhộng Tằm » (qui se traduit par « nymphes de vers à soie », un aliment de rue populaire au Vietnam, en Corée et dans d’autres pays d’Asie) présente un palimpseste de sons qui se confondent, une présentation du dossier d’échantillons comme un biome numérique. Sous-produit de l’industrie de la soie réutilisé pour la nutrition face à la pauvreté, la chrysalide du ver à soie pourrait être la métaphore biofuturiste parfaite de l’enchevêtrement des humains, de la technologie et de la nature.
Ces thèmes arrivent à un point culminant sur « Pressure », le morceau phare de l’album. Après une courte période de tourbillons et de cordes scéniques, vient un segment absolument époustouflant de ce que je ne peux qu’appeler shoegaze breakcore, une révélation d’une mélodie émanant du vacarme du glitch et de la batterie. Les pauses laissent place à des couches de kèn bầu drone; pas les funérailles kèn bầu qui a marqué leur dernier disque, mais une utilisation festive de l’instrument qui marque un nouveau départ. Comme à tous les débuts, il y a quelques moments difficiles – le ventre sombre de « Pressure » dresse la tête dans son outro, et un cri angoissé ponctue l’ambiance éco-futuriste du morceau suivant, « Mang Theo Tôi Nữa ». Mais la conclusion «Bugs Life» reprend la transcendance de «Pressure», des pauses et tout, faisant avancer cet optimisme avec la narration de Vũ Hà Anh qui préfigure une mélodie de transe à projection astrale. Le pessimisme froid de Ngủ Ngày Ngay Ngày Tận Thế se transforme en lumière, et la seule façon d’aller d’ici est en haut.